Paris, , 1871. In-8 manuscrit en belle page (15 x 21 cm) de (2)-131 ff. montés sur onglet à 30 lignes par page, demi-chagrin vert, dos à nerfs, titre doré (reliure de l’époque).
Journal manuscrit particulier tenu pendant le Siège de Paris puis la Semaine sanglante, rédigé au verso des feuillets d’un livre de compte à en-tête du Crédit foncier de France dont le diariste Jean-Baptiste Poulain d'Andecy était alors le secrétaire du Conseil d’administration. Une lettre adressée par ses soins au maire du 6e arrondissement Anne-Charles Hérisson le 27 mai 1871, retranscrite dans son cahier, le présentait ainsi : « Monsieur, Profondément dévoué à la République et pénétré des sentiments que vous venez d'exprimer si dignement, je me mets à votre disposition. Je suis propriétaire de la maison rue d'Assas 80 - y demeurant avec mes cinq enfants et les hôtes nombreux placés sous mon patronage n'ayant quitté mon poste ni pendant le bombardement prussien, ni pendant l'épouvantable guerre de ces derniers jours - resté dans ma maison avec Mr. Masson, vieillard de 74 ans, mon locataire, après avoir lutté corps à corps avec le bandit qui voulait nous tuer et nous incendier et ayant nous-mêmes les premiers sous les balles des Communeux du Carrefour de l'Observatoire, attaqué l'incendie de la maison mitoyenne n°78 et persisté en présence de l'explosion de la poudrière, tels sont mes titres Monsieur, pour continuer sous votre administration à servir notre malheureux quartier. Je vous offre tout le temps que mes fonctions de secrétaire du Conseil d'administration du Crédit Foncier de France et les soins immédiats de ma nombreuse famille ne réclameront pas ; je vous offre mes deux fils aînés, 17 et 18 ans, les amis dévoués qui m'accordent leur confiance, enfin les hommes que j'emploie à mon sauvetage ». Sous-préfet d'Ambert puis de Nantua de 1848 à 1851, le banquier Jean-Baptiste Poulain d'Andecy (1818-1884) fut d’abord surnuméraire à la Bibliothèque de l'Arsenal (1846-1848). Il est le père de Jeanne Louise Poulain d'Andecy, épouse Poincaré (1857-1934) âgée de 14 ans en 1871 : « Si je ne parle pas de l'attitude de ma femme et de mes enfants dans cette circonstance, c'est que tous sans exception ont été comme depuis le commencement de ce bombardement - calmes et véritablement étrangers à la peur. Louise n'a pas été troublée - son frère Paul est resté près d'elle (…) » (f. 35). Quand commence le bombardement de Paris le jeudi 5 janvier 1871, les habitants de la rive gauche pour une partie cherchèrent un abri sur la rive droite d’autres dans leurs caves tandis que la famille Poulain d’Andecy resta dans ses murs comme d’autres civils du quartier du Luxembourg : « Pendant le dîner Maurice qui avait été voir sa grand-mère au Jardin des Plantes nous rapporte qu’il a entendu dire que des obus étaient tombés dans le Quartier Saint Jacques, notamment un rue Gay-Lussac et d’autres rue de l’Arbalète. Je n'ajoutai pas foi à cet on dit mais dès huit heures du soir le bruit des explosions dans notre voisinage précédé du bruit plus significatif encore du sifflement des obus ne nous permet plus de douter que le bombardement effectif ne fut commencé. Nous nous tînmes à la fenêtre de la petite bibliothèque et de 9h à 11h 1/2 nous eûmes la vue des obus tombant près de nous et le bruit des nombreux projectiles qui traversaient l'air à droite et à gauche de notre maison (…) nous organisons le tamponnage de nos fenêtres sur la rue au moyen de matelas interposés entre la persienne et la croisée, de forts pitons en haut et en bas (…) Je fais ce que j'aurais du faire depuis dix jours , je vérifie l'état des greniers et chambres du 4e étage et je constate avec terreur que nous eussions été perdus sans défense possible si un projectile fut tombé sur la partie supérieure de la maison - un simple éclat de fonte incandescent aurait suffi pour communiquer le feu aux pailles, vieux papiers - matières combustibles de toutes sortes - même du charbon - sans compter les paniers vides, les caisses, les livres & & qui encombraient tous les greniers y compris le nôtre où des caisses et paniers auraient fourni un aliment léger et immédiat à l'incendie ».Lors de la Semaine sanglante dont la relation est tenue heure après heure, le 80 rue d’Assas est occupé par les Fédérés : « Mardi 23 mai. 2 heures. Ordre est donné à la concierge de tenir la porte cochère ouverte - et de faire ouvrir toutes les persiennes (…) le groupe de fédérés augmente et plusieurs stationnent devant notre porte. 9 heures nous venons de voir à n'en pas douter deux coups de fusil tirés du coin de la barricade sur le trottoir de la rue Bonaparte et probablement vers la rue de Fleurus. On voit une lueur caractéristique d'un incendie qui nous paraît être dans la rue de Rennes - peut-être vers la rue du Vieux Colombier. Ce doit être le commencement de l'incendie des Tuileries. (…) Mercredi 24 mai 1871 à 8h1/2 les derniers préparatifs du combat se font devant notre porte ; une pièce de 7 se chargeant par la culasse est amenée et placée en batterie dans la direction de la rue de Vaugirard. Il y a en tout de 40 à 50 hommes. Ils se tiennent en arrière la barricade et vers la grille du Luxembourg devant nos fenêtres. Nous faisons descendre les dames et enfants dans l'escalier de la cuisine et nous attendons. (…) jeudi 25 mai, je visite le quartier dévasté effrayant (…) jusqu'au jardin des plantes dans la direction duquel on aperçoit une fumée très intense que le public attribue à l'incendie de la halle au vin. Nous nous arrêtons devant les cadavres nombreux en maints endroits. Dans le fossé de la barricade au bas de l'ancienne rue des Grès, boulevard St Michel, une quinzaine au moins de cadavres sont couchés, d'autres sont couverts par des branches d'arbres, des paquets de cervelle sous les pas… enfin un spectacle hideux (…) feux de peloton dans le Luxembourg, c'est-à-dire exécution des communeux pris les armes à la main ».Remarquable récit resté inédit d’une maison bourgeoise sous les bombes prussiennes au mois de janvier 1871, témoin des horreurs de la guerre civile lors de la Semaine sanglante au mois de mai suivant, qui se termine sur une note bibliographique de l’ancien bibliothécaire de l’Arsenal : « 2 novembre 1871 - Dans le numéro de la Revue : La Philosophie positive de septembre - octobre 1871 (n°2 de la 4e année) M. Littré dans un article intitulé : "De la situation que les derniers événements ont fait à l'Europe, au socialisme et à la France" place à la page 189 une note ainsi conçue : « … Dans la rue d'Assas au n°78 que j'habite, les insurgés occupèrent la maison le lundi, le mardi et le mercredi ; ce dernier jour, ils signifièrent aux habitants de vider les lieux, qu'ils allaient y mettre le feu. Ce qui fut dit, fut fait : le rez-de-chaussée brûla, mais les troupes étant arrivées, et les insurgés ayant pris la fuite, l'incendie fut éteint avnt d'avoir gagné les étages supérieurs. Même événement au n°76 ; ordre d'évacuer la maison, feu mis, puis grâce à l'arrivée des troupes ; seulement là l'incendie brûla non seulement le rez de chaussée mais aussi le premier ». J'ai été bien tenté de faire savoir à Mr. Littré que ce n'était pas grâce à l'arrivée des troupes mais grâce à la persévérance de quelques citoyens que les incendies avaient été éteints, mais j'ai été retenu par la crainte de paraître réclamer pour moi-même une rectification et un remerciement que cependant M. Littré me doit bien pour partie et que j'aurais été heureux de recevoir de lui. Voici donc un habitant de la maison au secours de laquelle j'ai été le premier, qui ignore même les détails de cette matinée. Il n'était pas dans la maison et n'a pas cru devoir prendre la moindre information à ce sujet. Qu'importe ? Si nous avons bien agi le profit ne nous en reste-t-il pas ? ».