Pierre Villiers (1760-1849), poète, écrivain. L.A.S. partiellement en vers, 26 fructidor an 6 [12 septembre 1798], 4p in-4. A Jacques Lablée (1751-1841), avocat, écrivain, imprimeur-libraire, directeur du Journal des Muses publié en 1797-1798. Villiers fut le secrétaire de Robespierre en 1790 et fut blessé en 1792 en défendant les Tuileries. Condamné à la déportation en fructidor an 5, il ne reparut en public qu'après le coup d'état du 18 brumaire. Cette lettre amicale entrecoupée de vers, un an après sa condamnation, donne poétiquement de ses nouvelles. Il est donc en Belgique, comme le montre la lettre. Les [.] sont des parties en vers que nous n'avons pas retranscrites : « À M Lablée rédacteur du Journal des Muses. Loin de mes persécuteurs, je respire un peu, mon cher Lablée. L'amour et l'amitié fidèles Ont, par des soins touchants, su conserver mes jours : Grâce à leur généreux secours J'ai pu tromper les sentinelles. L'amour me cachait sous ses ailes Et sa soeur, à l'oeil vigilant, À vingt pas faisait l'avant-garde. Avec étonnement parfois je me regarde, Me croyant à l'abri, du moins pour un instant. Je dis à l'abri car je suis réellement sous l'épaisseur des arbres d'une forêt jadis célèbre par les miracles du ci-devant S. Hubert. En arrivant je leur ai dit : Vieux arbres dont la cime altière A bravé l'outrage des temps, Que sous votre ombre hospitalière J'échappe aux glaives menaçants ! J'entends encore le bruit de la tempête, Errant, abandonné, proscrit, Dérobe, s'il se peut, ma tête À la fureur qui me poursuit. Sensibles à ma prière, et au ton dont je la prononçai, ils m'ont permis de construire une cabane à leurs pieds, ce que j'ai fait aussitôt car il faut, avec les grands, profiter d'un moment de bonne volonté ! Je vous écris sur mes genoux, mais assez tranquillement [.] Continuez-vous votre recueil ? Je serais fâché que vous l'abandonniez. J'ai toujours applaudi l'entreprise que vous avez faite de réveiller les Muses que la terreur avait pour le moins endormies. [.] Ce n'est pas la perte de ma Liberté qui m'afflige le plus ; on peut être libre partout en conservant le mens sana in corpore sano. On peut aimer partout, malgré leurs rigueurs, son pats et sa maitresse ; mais on m'a enlevé mes manuscrits, et le fruit de dix-neuf ans de travail. Je regrette ma traduction complète des odes d'Horace et celle de la vie d'Agricola. [.] Votre Journal des Muses n'a pas été plus épargné que tout ce qui s'est trouvé dans ma chambre. Tout a sauté par la croisée. [.] Je suis d'autant plus fâché de la perte du Journal que j'allais mettre en vers plusieurs morceaux de prose qu'il contient. Voudrez-vous bien m'en compléter une collection ? Je vous enverrai, ne pouvant mieux, quelques poésies. [.] Aussi je ne prétends point m'acquitter des dettes de l'esprit ; heureux si vous acceptez de tirer à vue sur mon coeur. Adieu, mon cher Lablée ; je vais faire en sorte d'être le moins malheureux possible. [.] Cultivez toujours les lettres ; que rien ne vous rebute dans cette carrière. [.] Malgré cela, mon cher confrère, il faut aimer les Muses, leur commerce désennuie, leur souvenir console, et comme a dit le Poltron Cicéron, nobiscum peregrinantur. J'avoue que les disgrâces qu'on éprouve en les cultivant doivent vous empêcher d'être dans une grande sécurité pour l'avenir. [.] Adieu, une fois encore. Piange la mia vita. J'aurais voulu qu'on eût creusé ma tombe À quelques pas de mon berceau. Je vous vois, bords de l'Ohio ! À ma tristesse, je succombe. Vous qui devriez me voir mourir, Lieux chéris qui m'avez vu naître, Sous quelque ciel que je puisse être Vous aurez mon dernier soupir. P Villiers ». Très beau document. [353]
Pierre Villiers (1760-1849), poète, écrivain. P.A.S., signée « par feu l'auteur des rapsodies », 18 frimaire an VI [8 décembre 1797], 2p 1/2 in-4. Long poème d'une quarantaine de vers, divisé en cinq chants, écrit « des bords de l'Oronoque », dédié au général Bonaparte, futur Napoléon. Il est à chanter sur cinq airs différents. Nous livrons ci-dessous le premier sur l'air « de la parole ». « Quoique bien civilement mort Par la loi fructidorienne D'être civil et juste encore Ah ! Prétend-on que je m'abstienne On ne veut pas qu'en étoudi Je chante sur un ton frivole Mais pour le vainqueur de Lodi Est-il décrit assez hardi Pour m'oser couper la parole ». Rappelons que le coup d'état du 18 fructidor an V, soit 3 mois plus tôt, l'avait condamné à la déportation car il était royaliste. Il réussit à y échapper et envoie donc sa production au « rédacteur de l'ami des arts ». C'est donc pour cela qu'il écrit des « bords de l'Oronoque » (fleuve de Guyane), où il aurait dû être, et qu'il se dit donc mort. Les Rapsodies sont les journaux qu'il publia peu de temps avant. Peu commun. [375]