Saint-Denis, Société des Écrivains, 2015, in-8°, 308 pp, préface de Benoît Lefort, 200 photos, 7 cartes, 4 croquis, broché, couv. illustrée, bon état
Souvenirs de guerre d'un gueule cassée. — « Près de moi, un autre camarade a été touché, je l'entends gémir, pendant une demi-heure, accoudé sur le parapet tout comme s'il dormait ; aucune blessure n'est apparente. Hélas, une demi-heure plus tard, il était mort. Un autre camarade, blessé aux reins, passe à quatre pattes derrière moi, enfonçant encore les moellons qui me meurtrissent. À quelque vingt mètres de là, les camarades qui se sont sauvés durant l'éboulement m'observent, se disant que sans doute je n'en ai pas pour bien longtemps. Non, mais vais-je mourir ainsi ? Agoniser pendant des heures et des heures, dans l'impossibilité de faire le moindre mouvement. » Nouvelle contribution à notre connaissance du quotidien des soldats français lors de la Première Guerre mondiale que ces « Souvenirs de guerre » composés par Édouard Lefort, qui nous entraînent jusqu'en Albanie, jusqu'à ces combats en Orient que l'on évoque peu et qui devaient faire de l'auteur l'un de ces « gueules cassées » générées par ce conflit. Témoignage édifiant, qui embrasse le parcours d'un homme de son instruction à sa convalescence, porté par l'esprit de corps, la camaraderie et le patriotisme de son narrateur. Ce texte, riche en documents d'époque, se révèle être, de par sa pudeur et son écriture directe, touchant de courage et d'abnégation. —"C’est à la demande de sa famille qu’Édouard Lefort a rédigé ses Souvenirs de guerre entre 1930 et 1931. Vingt ans plus tard, il a ajouté des remarques sur son état de santé. L’ensemble est édité par son petit-fils, Benoît Lefort, auteur de la préface, tandis que Pierre Lefort, le fils d’Édouard, fournit en fin de volume de brèves informations sur la vie de son père. L’édition se veut fidèle au cahier manuscrit en reproduisant les photographies, les cartes postales, les plans géographiques, trois lettres d’amis ayant lu ce témoignage en 1932 et 1933, des extraits de journaux recopiés dans le cahier, ainsi que le tableau établi par Édouard Lefort pour récapituler ses cantonnements militaires, ses séjours en hôpitaux et ses treize opérations. Deux pages du cahier sont visibles. L’intérêt de ce témoignage, c’est bien sûr celui d’une « gueule cassée », mais aussi celui d’un soldat quittant l’infanterie pour rejoindre l’armée d’Orient avec les « joyeux » ou les « têtes brûlées » (p. 98), que sont les zouaves. En 1915, Édouard Lefort part à l’armée plein d’enthousiasme, désirant être un soldat modèle. En juillet 1916, après son passage dans la région de Verdun, où il a vu au matin l’arrivée des corps des soldats tués pendant la nuit, il écrit : « Il me semble que je sors d’un cauchemar, et pourtant qu’ai-je vu ? Ayant à peine frôlé cette terrible région de Verdun » (p. 67). Le 19 avril 1917, après la blessure qui vient de le défigurer, Édouard Lefort marche vers le poste de secours et croise d’autres soldats : « Oh, avec quels yeux ils me regardent ! des yeux d’épouvante, faut-il que je sois si affreux ? Et de fait, je sens qu’à chaque pas mon menton balance, des lambeaux de chair sanguinolente pendent lamentablement. Ma capote est rouge de sang jusqu’en bas » (p. 179). Il a perdu 19 dents, presque tout le maxillaire inférieur, ne peut plus parler, ni manger. Il est nourri au biberon avec du « lait de poule » et ses nuits sont hantées de cauchemars..." (Isabelle Jeger, CRID 14-18, septembre 2017)