Boris Vian (1920-1959), écrivain. L.A.S. + enveloppe, Paris, 6 septembre 1948, 4p in-4. A « Miss Jerry Cooks », à Bruxelles. Belle et rare lettre sur Saint-Germain-des-Prés et les clubs de jazz. « Je viens de recevoir votre lettre et je vous avoue que l'idée m'était déjà venue de lancer à Bruxelles un lieu du genre de celui dont je m'occupe à Paris. Mais je ne sais si un endroit de ce genre rencontrerait à Bruxelles le même accueil. Le milieu de Saint-Germain-des-Prés est bien particulier et comprend une très forte proportion de gens de lettres ou de cinéma, de musiciens, d'étrangers ; je ne sais si pour ces derniers notamment, en raison du taux un peu soufflé du franc belge, nous pourrions y rencontrer le même accueil. Je vois par ailleurs un obstacle : tous les clubs qui marchent (le Tabou, le Club St Germain, la Rose Rouge, etc.) comportent des prix de consommation assez bas : du champagne de marque coût au Club St Germain, 1500 francs (français) la bouteille (marques genre Mumm, Pommery, Heidsieck, et millésimées - le champagne non millésimé est à 1200 F, le whisky à 300 F). Or je viens de passer une semaine en Belgique et j'ai été suffoqué des prix pratiqués là-bas. A moins de les baisser considérablement, je doute que cela puisse marcher. Par ailleurs, je dois vous dire que le Club St Germain, celui qui marche le mieux des trois cités, doit une grande part de son succès l'orchestre que je dirige (je vous dis ça sans aucune fausse modestie car moi-même, je joue fort peu ; mais j'ai réussi à grouper des éléments assez sensationnels - et la publicité gratuite que nous font à peu près tous les journaux parisiens est un autre élément de ce succès). Quant à l'existentialisme, je regrette de vous décevoir, mais il n'a pas grand chose à voir à tout ça : il se trouve que je connais très bien Sartre et ses amis, que j'écris dans les Temps modernes. mais c'est tout. le Club lui-même est un endroit où pour pas cher on peut boire des consommations de qualité et entendre du bon jazz. Maintenant, il est vrai que mes amis et moi, nous commençons à savoir, après le Tabou et le Club, comment on fait "démarrer" un endroit de ce genre. Si à ce titre ma collaboration peut vous intéresser, je suis prêt à étudier toute proposition de votre part. Je m'excuse de la longueur de cette lettre mais je crois que ces précisions vous seront utiles. Veuillez agréer l'assurance de mes sentiments dévoués. BorisVian ». Jerry Cooks, selon une note, était chroniqueuse de jazz, épousa M. d'Helft et devint chef du protocole à l'ambassade des Etats-Unis à Bruxelles. Très beau courrier. [375]
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