Superbe manuscrit à propos des écrivains Alfred de Vigny, Victor Hugo, Alfred de Musset, Lamartine et Baudelaire. Il fait une analyse pertinente et détaillée sur les raisons pour lesquelles de Vigny n’est pas reconnu à sa juste valeur, ce qu’il condamne avec sincérité et objectivité. « Y a-t-il une gloire plus pure que la sienne ? Si Hugo, Musset, Lamartine, ses grands émules sont plus célèbres et plus populaires, c’est qu’ils avaient pour charmer la foule, autre chose que leur génie. Ceux que ravit une virtuosité grandiloquente et creuse, ceux qui abordent la littérature avec une mentalité de politiciens, ceux qui confondent la poésie avec l’amour et l’amour avec la sensualité, ceux qui, faute de pouvoir penser nettement et de savoir ce qu’ils veulent, se prennent pour de nostalgiques rêveurs, toute cette basse couche du public littéraire trouve dans les parties inférieures de l’œuvre de Hugo, Musset, Lamartine même, de qui se satisfaire, de quoi faire à ces grands poètes une célébrité éclatante et mêlée. Mais on n’aime guère Vigny que si l’on aime la poésie pour elle-même et, avec la poésie, la pensée. Quelqu’un disait – dans cette même revue : " on le lit trop peu, je vois trop son nom dans les jeunes revues". Je pense bien, quant à moi, que Vigny est lu de tous ceux qui peuvent le comprendre, et je crois aussi qu’il ne faut pas trop " jeune" pour l’admirer à bon escient. Il y a déjà ; si je ne me trompe, un peu de snobisme dans la vogue dont jouit aujourd’hui, dans un certain milieu, quoi qu’on en dise, Alfred de Vigny. Le noble poète, dans la dernière strophe de l’Esprit pur, se souhaitait une gloire durable et sans mélange, c’est-à-dire limitée à une rare élite… ». Il poursuit avec une description élogieuse de l’œuvre de Vigny qu’il défend avec ferveur et admiration, en n’hésitant pas à critiquer l’œuvre des grands écrivains de l’époque. « Son œuvre, qui est peu étendue, est une des plus inégales qui soient. Tout y est à lire, parceque tout, ou peu s’en faut, y est significatif, mais ceux qui, chez un poète cherchent avant tout de la beauté, peuvent s’en tenir à un petit nombre de pages, dont le charme est vraiment inépuisable. Certains vers de Vigny ont une intensité d’accent, une profondeur et une pureté de résonnance, une puissance indéfinie de suggestion, une magie pour tout dire, que Baudelaire a peut-être possédée, avec une générosité et une chasteté qu’on chercherait en vain dans Les Fleurs de Mal. Il n’y a rien de plus humain et de plus angélique que certains vers d’Alfred de Vigny. S’il émeut si fort, c’est sans doute qu’il n’a pas considéré son art comme un jeu, un moyen de briller, une voie pour atteindre le succès, c’est qu’il a pris la poésie au sérieux. Hugo nous tombe des mains après dix pages de lecture ; et nous relisons dix fois La Maison du Berger, sûrs d’y trouver toujours un enchantement. Les admirables poèmes sont peu nombreux, douze ou quinze tout au plus : c’est que Vigny, dans sa haute conscience de poète et d’homme ne se répétait pas. On profane son émotion si l’on en fait la matière de plusieurs poèmes ; on s’affaiblit littérairement en se répétant. La Colère de Sanson n’est si saisissante et si belle que parce qu’elle est unique ». Enfin, il termine son manuscrit engagé en insistant sur la personnalité de Vigny « On ne saurait assez aimer Vigny, qui parce qu’il était foncièrement généreux, a trouvé dans le pessimisme une source inattendue de pitié, de tendresse, d’amour. Certains vers de lui, tous pénétrés de larmes, sont dignes de notre adoration. Mais il faut le plaindre d’avoir ignoré la foi, l’espoir, la vigueur et la santé de l’âme, tout ce qui prête un sens à la vie et nous donne la force de vivre ; il faut le plaindre d’avoir été l’homme qui, après une nuit passée à lire ou à étudier dans sa tour au Maine-Giraud, fermait les rideaux pour ne pas voir le lever de l’abominable aurore. En général, nous lisons légèrement et superficiellement : Il est peut être providentiel qu’il en soit ainsi et que nous demandions aux œuvres littéraires de nous charmer plutôt que de nous instruire. Ce grand poète fut un grand malheureux, et ses vers causeraient le malheur de beaucoup d’entre nous, si nous le prenions au sérieux, en les lisant, comme il faisait en les écrivant… ».
Reference : 89C28
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