« Craignant de ne pas vous trouver Monsieur, je ne me suis pas présentée à votre bureau comme je l’aurais désiré ! Voulez-vous me donner un rendez-vous pour lundi de 10 heures à 2 heures, chez vous ou chez moi ? J’en appellerai au passé pour vous demander l’appui de votre plume. Depuis 25 ans je donne des leçons à Paris et j’ai formé à mon école Mes Monbelli, Reiss, mon fils qui vient de débuter et dont vous avez bien voulu parler comme amateurs des élèves connus dont je vous dirai le nom de vive voix…».
Reference : 126C30
Librairie Monogramme
Mme, M. Marie Claire et Daniel Brukarz
Village Suisse - Galerie 105, 78 avenue de suffren
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France
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Superbe lettre. Probablement rédigée en vue de l’organisation d’une exposition ou d’un Salon. Il a reçu deux lettres et en adresse un compte rendu à son « cher Boitard ». « Voici le résumé de deux lettres que je reçois, une de Saintin (le peintre Louis Henri Saintin), une de Delaunay (le peintre Jules-Elie Delaunay). Saintin ne pourra rien envoyer mais il travaille ardemment ses amis pour les faire envoyer. Delaunay m’annonce que Cabanel n’enverra pas le Moise et demande s’il faut lui faire envoyer un Orphée (autre envoi de Rome, moins intéressant). Je réponds oui, il dit que Dubufe (le peintre Edouard Louis Dubufe) enverra probablement un de ses meilleurs portraits d’homme, le portrait de Barre le sculpteur, et qu’il a une odalisque très importante. Dans le genre de la dernière du Salon mais qui appartient aux Goupil (Adolphe Goupil, fondateur de la société internationale Goupil & Cie, l'un des plus gros marchands d'art du XIXe siècle). Ces derniers veulent bien nous la prêter ainsi que plusieurs autres jolis tableaux nouveaux mais à une condition, c’est que nous nous engagions formellement à retourner ces tableaux chez eux pour le 25 Décembre. En voici la raison, ces tableaux sont vendus à un grand marchand anglais qui ouvre une exposition le 1er Janvier. Ils ne peuvent manquer de les lui expédier à cette époque (cette mesure n’est applicable parmi les tableaux des Goupil qu’à l’odalisque de Dubufe et aux quelques tableaux choisis dont je vous ai parlé). Je crois qu’il n’y a pas à hésiter à accepter cette condition qui démontre de la part de Goupil un grand désir de nous être agréables. Mais je ne puis trancher cette question. Répondez donc un mot à ce sujet à Mr Boussod (Léon Boussod), l’associé des Goupil rue Chaptal 9, en lui disant que je viens de vous transmettre l’aimable proposition qu’il avait fait à Delaunay et que vous l’acceptez avec la condition en le remerciant beaucoup. Priez-le alors de vous envoyer à l’avance pour le livret la liste spéciale de ces quelques tableaux… ». Il termine sa lettre en apportant les précisions suivantes « Delaunay remue ciel et terre, il est transformé en homme actif et ardent. Il travaille pour nous faire deux choses, aura-t-il fini ? Dite à Doré (l’illustrateur et peintre Gustave Doré) de le pousser. Gérome (le peintre Jean-Léon Gérome) doit être à Paris, que Doré lui écrive donc pour les Gladiateurs et qu’il insiste à mort. Car Delaunay m’annonce le combat de coqs mais pas un mot des Gladiateurs. Gardez-vous d’en parler aux Goupil. Delaunay espère aussi un tableau de Dupray (le peintre Henri Dupray), un jeune célèbre... ».
WILLETTE (Adolphe Léon) peintre et illustrateur français (1857-1926)
Reference : 21C27
Il est à la campagne et lui assure qu’il a laissé à Paris dans son armoire, « soigneusement enveloppé », son beau livre. « Il est moins perdu que le chat de la mère Michel », déclare-t-il, en plaisantant, et qu’il lui restituera dans 3 semaines à son retour. Il ajoute avec humour : « La cruelle maladie dont je suis affecté, celle de me dire, "je ferai ça demain" est ma seule excuse et la seule que je puisse vous offrir : voyez comme je suis pauvre. Toutefois à quelque chose malheur est bon : Votre livre sur Japon a de la valeur, c’est un souvenir d’accord, mais il lui manquait une histoire gaie ou terrible, il l’a à présent et il n’en a que plus de valeur […] La femme qui a un matou sur l’épaule est bien à Salis,[le cabaretier Rodolphe Salis] mais je m’étonne que vous l’ayez vue parce qu’il m’avait promis de ne pas l’exposer,[ le fameux tableau de Willette réalisé vers 1881 qui représente la Grande Louison et sa petite chatte noire "Boulette", tableau refusé au Salon de 1882 ] car vous savez cette esquisse n’est pas meilleure que le tableau que j’en avais fait il y a quatre ans. L’idée est meilleure je crois que l’exécution. Ah dame cela nous arrive quelquefois à nous autre barbouilleurs, la main nous trahit souvent. Mais j’y pense comment se fait-il alors de Karolus Durand soit plus sûr de toujours tuer son homme que de faire un bon tableau ? ». Il termine en lui apprenant qu’il vient de faire une visite au Mont Saint-Michel, « c’est plus beau que le moulin de la Galette ». Le dessin représente une scène où Willette a dessiné un pierrot agenouillé suppliant une jeune fille, appelé « Marquise », probablement la fille du destinataire. Il a également dessiné le livre de son auteur Tavernier, auteur concerné par cet échange et qu’il a titré « L’art de tuer les Pierrots », portant cette légende : « Oh Marquise dis à ton papa de ne pas tuer Pierrot ! ».
Jolie lettre de la « Colette provinciale ». « Merci surtout de votre dernière lettre, signée par vous, Yves, qui nous rassurait tous sur vos progrès si nets et qui portait (de la main droite, celle qui dessine) votre nom si fermement tracé ! Le curieux, c’est que pendant le même temps nous étions malades et au lit tous deux et qu’à la Reine Jeanne [faisant référence à l’ouvrage de M. Mauron, "une reine de tragédie"] notre beau livre est né seul, nos 2 sièges demeurés vides, remplacés par des bouquets de fleurs. Nous voilà sortant ensemble, lentement de nos congestions mais le printemps revient pour votre bras et mes poumons [....] Nous avons eu juste le temps d’achever notre Compostelle, et vous aurez le temps de peindre vos fleurs et vos Alpilles aux Baux… »
Très belle lettre concernant la collaboration des deux hommes pour « Le fils de l’Etoile » [drame musical en 5 actes], qui semble être remise en question par le poète pour des incompréhensions. Le musicien tente de le rassurer en lui renouvelant ses explications. « Votre lettre me fait énormément de peine ! En effet, je ne vois pas pourquoi après vous avoir déclaré pour la seconde fois que je n’avais jamais renoncé ni ne renoncerai jamais au Fils de l’Etoile. Vous me parlez de rompre notre collaboration ? C’est mon procédé de travail qui semble faire obstacle mais je ne crois pas qu’il y ait un musicien au monde capable d’écrire sa musique concurremment avec le poète écrivant ses vers […] et bien j’aurai le plaisir de vous convaincre mercredi prochain en vous apportant mon manuscrit. Il est très difficile de s’expliquer ainsi. Nous nous entendrons je l’espère, j’en suis sûr même verbalement et surtout qu’il ne soit plus question de renoncement à une collaboration à laquelle je tiens ardemment ».
A propos de « Soirs de Jadis », 4 mélodies sur des poèmes de Jean Lorrain, sur une musique de Gabriel Pierné. Il le remercie tardivement pour l’envoi reçu. « Voulez vous encourager l’indiscrétion que j’ai de solliciter de vous cinq autres de ces Soirs et une Yanthis [comédie en 4 actes, en vers Représentée au Théâtre Nationale de l'Odéon, le 10 février 1894]. tout le monde me dépouille et je ne possède plus rien…ce sera tout, Jean Lorrain s’engage à faire payer ses dettes par Raitif. [un des pseudonymes de Lorrain, Raitif de la Bretonne (sic)] Croyez-moi votre ami ».