« DREYFUS EST-IL COUPABLE OU INNOCENT ? » Exceptionnelle et très longue lettre en réponse aux questions de Daniel Halevy, qui certainement lui suggérait de prendre position pour le condamné de « l’Affaire Dreyfus », en perspective de la révision du procès, lettre dans laquelle le musicien perdu, recherchait la vérité en s’interrogeant et en analysant cette situation. Il hésite à lui répondre, car il imagine à l’avance, que sa réponse va l’exaspérer « Dreyfus est-il coupable ou innocent ? Je n’en sais rien du tout ! », Avoue-t-il, « Et je me demande comment tu peux toi le savoir ! A quelles sources as-tu puisé tes informations ? Que sais-tu ? ET comment le sais-tu ? Je ne demande pas mieux que de penser que comme toi. Mais je ne peux vraiment pas le faire pour te faire plaisir. Moi, je n’ai pour m’informer que les journaux. Les uns représentent Dreyfus comme innocent, les autres comme coupable. Lesquels croire ? Les faits même sont racontés d’une façon par la Tribune, d’une autre par le Gaulois, quelques fois d’un troisième par le Temps. Et puis, cette affaire doit on avoir grand confiance dans la presse. Robert Dreyfus m’écrit qu’elle joue un fort vilain rôle… ». Il pense que la majorité des gens à ce sujet pensent à la culpabilité de Dreyfus. « Mais la majorité est sotte et mal informée. Je ne la crois pas. Il vaut mieux croire une minorité intelligente, mais élite – Or laquelle choisir ? Dois-je croire cette élite composée de Mrs France, Zola, Gregh, Bizet, Proust, toi, Dreyfus Rivoire etc. ou cette élite composée de Mrs Mercier, Billot de Boisdeffre, Pellieux, Ravarin etc. Ceux-ci, dit-on, sont suspects, ceux-là sont de bonne foi. D’autre part, les derniers sont à coup sûr mieux informés que les premiers - lesquels croire ? Je n’en sais rien ! Et puis, tout ce qu’il ya eu de louche et de mystérieux dans le procès Dreyfus – A quoi l’attribuer ? Ou bien les juges avaient der bonnes raisons d’agir ainsi, ou bien ce sont tous des canailles. Doit-on croire, simplement, avec Zola que Mercier, de Boisdeffre, Billot Pellieux - les 3 experts, les membres des 2 conseils de guerre sont des malhonnêtes, et qu’ils ont fait volontairement des Saletés gens… » Il suppose que cela peut rendre nécessaire « de tenir secrètes certaines pièces », mais l’ignore encore une fois la vérité et lui demande de ne pas lui en vouloir de lui exprimer le fond de sa pensée. « Je sais que tu trouveras tout ce que je te dis odieux et exaspérant ». Il l’interroge : « Tu crois qu’il ont été malhonnêtes et injustes en 1895 – Qu’est ce qui te fait croire qu’ils ne le seront pas en 1898 ? ». A la réflexion il pense que cela vaut le coup d’essayer car c’est « le devoir de tout homme de penser à un choix aussi grave, de s’y intéresser de se former une opinion, et d’agir selon son pouvoir, suivant cette opinion. Il est évident que si tout le monde était comme moi, l’opinion publique est une chose qui n’existerait plus. Je vois bien ce qu’on pourrait y gagner ; il m’est impossible de voir ce qu’on y perdrait. Maintenant mets-toi en colère : insulte moi ; méprise moi. Je sens très bien que je ne peux y échapper. Je le mérite peut-être. Tu m’expliqueras pourquoi. ». Il lui avoue être passionné par d’autres choses qui lui semblent « tellement tellement « plus passionnantes !!! ». Il lui souligne qu’ici à Rouen, on pense que Dreyfus ne vaut « probablement pas grand-chose, qu’Esterhazy ne vaut pas d’avantage. Si Esterhazy avait été condamné cela n’aurait guère étonné ». Ce qu’il entend dire ici le plus souvent c’est : « Ou Zola est fou ou toute l’armée française est pleine de crapules, sauf Dreyfus ! ». Il ne sait plus quoi penser. « Et puis suppose que vous réussissiez ! qu’on révise le procès ; que Dreyfus soit reconnu innocent, que tous les généraux qui sont à la tête de notre armée française soient reconnus coupables, malhonnêtes, comme se serait triste et laid ! Laid, sans doute - diras-tu – mais juste - et peut-être auras-tu raison. ». Il l’encourage à lui répondre « tout de suite » et lui indique, qu’il ne pourra répondre à Dreyfus qui lui demandait une opinion sur Esterhazy. « Je n’ai pas le courage ni le temps, de recommencer cette lettre ! ».
Reference : 103C24
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