NDLR : Octave Uzanne meurt le 31 octobre 1931, soit un peu plus de six mois seulement après avoir rédigé cette émouvante lettre à son ami le critique et homme de lettres Georges Maurevert. Uzanne a été très malade, a subi plusieurs opérations depuis plusieurs mois, avec de nombreuses et longues périodes en clinique à Saint-Cloud. S'il décrit ses graves ennuis de santé et ses sentiments de lassitude face à la vie qui s'efface peu à peu, il n'en perd pas pour autant l'envie de commenter l'actualité littéraire ni ses anciennes amitiés trahies par le potinage. Il évoque Blaise Cendrars mais ce sont surtout les Souvenirs de Georgette Leblanc, cantatrice, ancienne compagne de Maurice Maëterlinck, son ami, qui occupent ses pensées du moment. Les passages soulignés dans le texte de la lettre ont été soulignés dans la transcription ci-dessous afin de respecter l'accentuation sur certains mots que souhaitait appuyer Uzanne (le mot pitoyable est quant à lui souligné deux fois). * ** * Lettre d'Octave Uzanne à Georges Maurevert - Saint-Cloud, le 7 avril 1931 Je compatis d'autant mieux, cher vieil ami, aux ennuis de votre nouveau séjour en clinique, que j'ai connu, avant de subir l'énucléation prostatique « en un temps », des mésaventures trop longues à narrer ici - mais vous dirais-je que la vie de clinique ne m'est pas hostile ; que je supporte à merveille l'alitement même prolongé et que rien n'arrête mon goût d'écrire. - en situation horizontale - je n'ai pas raté un article ni avant ni après opération et je n'ai connu l'impuissance d'agir de ma plume que cette dernière période de maux qui m'ont mis en obligation de renoncer à tout, car je fus aussi mort qu'on peut l'être, sans arrêt total du moteur, vidé de toute force. Je ne connais pas Blaise Cendrars. Il m'intéresse parce que très original et d'une personnalité qui surpasse celle des écrivains courants - J'ai acquis Rhum et ne le regrette pas car cette physionomie de Galmot m'a passionné vivement. Oui, j'ai reçu le livre de Georgette. Je l'ai trouvé pitoyable, sans fierté et aussi sans intérêt véritable - Je lui ai écrit mon sentiment, brutalement. J'étais attristé de ces misérables « Souvenirs » et de l'ensemble des menus faits exposés - Georgette sera désormais, pour moi, ainsi que son frère des ennemis déchaînés, mais qu'est-ce que cela peut faire ? La préface de Grasset est grotesque et indique une incurable sottise chez cet éditeur. J'écrirai un article vague, ne nommant personne, pour stigmatiser ces moeurs de femmes plaquées ou décollées par le temps, qui se racontent ainsi publiquement et comptent sur un succès de scandale ou de curiosité généralisée, ce qui ne saurait être - l'opinion ne marche pas dans la combine - Tous ces ragots l'embêtent ferme et cela est normal et logique - il n'y a là rien qui puisse accrocher notre esprit ni retenir notre attention. Affectueux souvenirs, cher vieil ami. - Nous reverrons-nous jamais désormais ? Je crains que non, car je ne voyage plus. J'arrive au terme de mon transit, et je n'en suis pas fâché. Je n'ai plus rien à faire ni à dire qui m'exalte le moins du monde, la société actuelle m'est aussi étrangère que celle des Mèdes ou des Perses et j'ai vraiment envie de mourir tout comme on dit : « Je tombe de sommeil ». Bons voeux de restauration définitive et affectueuse pression de dextre de votre très cordial ami. Octave Uzanne
Reference : AMO-649
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