PIA (Pascal). CREIXAMS. MANUSCRIT AUTOGRAPHE SIGNÉ (« Pascal Pia »). Daté « Paris, 1er novembre 1925 » (ou 1929 ?). 2 pages (numérotées dans le coin supérieur gauche) au recto de deux feuillets, 26,9 × 21 cm environ (un bord du second feuillet irrégulier). Quelques ratures et corrections. Beau texte consacré à l’artiste espagnol, qui a notamment illustré À une courtisane. Les documents manuscrits de Pascal Pia de cette époque sont rares. Celui-ci se rapporte à l’un des personnages dont il fut le plus proche dans sa jeunesse. On peut noter l’apparition, dans ce texte aux échos personnels (comme souvent chez Pia), de l’expression « condition humaine », que son ami et complice André Malraux utilisera quelques années plus tard. « Le nom de Creixams est devenu maintenant familier aux amis de la peinture, ce nom autour duquel se formera demain sans doute une légende. Il y a gros à parier, en effet, qu’on ne manquera pas de raconter un jour la destinée snigulière de Creixams. Au milieu des derniers vestiges d’un village perdu et tout à côté d’un minuscule cimetière en jachère, Creixams a momentanément élu domicile, et nul doute à mes deux que le séjour qu’il fait dans l’ombre dense du Sacré-Cœur, parmi des personnages empruntés à une comédie de désespoir, ne l’incite à préciser le caractère que je crois découvrir dans nombre de ses toiles. Les anges de la misère, qui comptent dans leur compagnie de bons et de mauvais anges, Vincent de Paul ou Jack l’Éventreur, mais qui ne sont pas toujours si empressés auprès des victimes qu’on leur confie, durent néanmoins veiller sur Creixams. On sait qu’il fit les métiers les plus divers et qu’il prit le pinceau il y a environ quatre ans seulement. Aussi n’est-[il] rien dans ses toiles qui rappelle la rhétorique des Beaux-Arts, et pour ma part j’y veux voir surtout deux traits dominants : l’obsession de la misère et l’obsession de la volupté. Il est à remarquer que les compositions de Creixams sont parmi les plus pures qui soient, et j’entends, par pureté, une certaine beauté formelle encore assez rapprochée de la nature, à qui l’artiste emprunte en les accentuant les éléments ou les motifs qu’il a choisis pour ses compositions. J’imagine qu’un spectateur attiré par les modelés profonds et souples d’un Cranach, par exemple, doit éprouver également le charme que dégagent les figures de Creixams. Je l’ai vu peindre, comme avec des caresses, des nus ou des visages capables de donner l’impression vive de la chair, la présence et la mobilité infinie d’un corps tiède et ce frémissement qu’on voit à certains marbres. Je connais peu de toiles, parmi la peinture moderne, qui traduisent la volupté d’une manière aussi intense et qui soient, comme celles que j’ai dites, germaines d’un érotisme naturel et délicat. J’ai écrit l’obsession de la volupté et l’obsession de la misère ; or, pour ce qui est du spectacle de la misère, il est assez souvent rendu par Creixams sans aucun affectation. On peut dire que si une moitié de sa peinture ressortit à l’amour, l’autre moitié le fait à l’aventure. Les chemineaux, les saltimbanques, les enfants dépravés et tristes de Monjuich [sic pour Montjuïc] ou de la Chapelle, je ne crois pas qu’on ait été souvent plus proche d’eux. Je retrouve autour de leurs yeux ce cerne que les privations et les veilles y ont mis, et les voici, présentés sans artifice, mes camarades d’école, mes amis de la rue, en quête d’une vie difficile et précaire. Ce sentiment un peu noir de la condition humaine et de l’inquiétude qu’elle implique, et dont il faut évidemment chercher l’origine dans l’enfance misérable de Creixams, je ne peux m’empêcher de le retrouver encore dans ceux de ses paysages que je préfère, où le ciel a gardé le lavis terne et humide des ciels parisiens, de la banlieue et des fortifications, paysages de la rue de la Borne et de la rue du Chevalier de la Barre dont les bâtisses vétustes vont chanceler sous les derniers coups des démolisseurs. Mais je m’aperçois que j’ai évoqué un Creixams attristé et je crains que l’amateur non prévenu ne s’y trompe. Creixams est aussi loin de la tristesse que de la révolte, puisqu’aussi bien celle-ci accompagne d’ordinaire celle-là. Son tempérament est trop complexe pour que je puisse espérer en donner une idée juste dans les dimensions d’une page, mais je sais bien que la puissance n’est pas ici exempte d’une mélancolie foncière qui est le propre des meilleurs esprits et à laquelle il est quelquefois délicieux de s’abandonner. » Trous de classeur ayant entraîné de petites pertes d’encre à quelques lettres, traces de pliures et de manipulations anciennes (papier un peu fatigué), petite fente à une pliure, trace d’un trombone rouillé n’affectant pas le texte.
Reference : LRB_21
Le Livre de jade
M. Jonathan Chiche
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