Versailles, Toulon, Saïgon 1868-1871 in-8 (pour la plupart) conservé dans une boîte moderne de papier gris foncé, pièce de titre noire
Reference : 23104
Environ 550 pp.Dictionnaire de biographie française, VI, 1104-1105. Numa Broc, Dictionnaire illustré des explorateurs français du XIXe siècle, Afrique, pp. 40-41.Né à Provins en 1839, Gustave Borgnis-Desbordes fut admis à l'École polytechnique en 1859, puis à l'École d'application de Metz d'où il sortit, en 1863, lieutenant d'artillerie de marine. Il fut alors affecté à Toulon. Promu capitaine en 1867, il servit à Paris avant de faire campagne en Cochinchine de février 1868 à mars 1871. Il revint ensuite à Toulon, à l'École de pyrotechnie, avant de servir à la direction de l'artillerie, puis à l'inspection générale de l'arme. Il effectua par la suite trois importantes campagnes dans le Haut-Sénégal et le Haut-Niger (1880-1883), prit part à la campagne du Tonkin (1884-1885), fut nommé, en 1890, général de division et inspecteur général de l'artillerie de marine, puis commandant supérieur des troupes françaises en Indochine en 1899. Il mourut à Hanoï en 1900. Ces lettres ont été écrites pendant la campagne de Cochinchine (1868-71) : appareillage de Toulon le 16 février 1868 à bord de la Seine, arrivée à Alexandrie le 28, visite de la ville puis du Caire, excursion aux Pyramides le 10 mars, départ pour Suez le 17 puis embarquement le lendemain sur la Sarthe, traversée de la mer Rouge, du golfe d'Aden et de l'océan Indien, arrivée à Saigon le 4 mai : installation, adaptation à la chaleur et à l'humidité, vie militaire, évocation de soulèvements en Cochinchine en juin 1868, inspection et manœuvres des troupes, rapports avec ses supérieurs, condamnation d'Annamites par un conseil de guerre, problèmes de santé (dysenterie), retour en France en septembre 1869, puis nouveau départ pour l'Indochine en décembre, avant de revenir à Saïgon le 27 février 1870. Le mois suivant, son colonel le met aux arrêts; sa maison est cambriolée, malgré la présence de six officiers, puis il est témoin, au mois de mai, d'actes d'insubordination chez les canonniers et évoque, en août, la guerre qui vient d'éclater entre la France et la Prusse. Parmi cette importante correspondance, 40 lettres sont adressées à sa mère, Louise Borgnis-Desbordes, 25 à sa sœur Claire (épouse d'Henry Lethier, ingénieur des Ponts et Chaussées), et 20 à ses frères, Ernest, Alexandre et Paul. Si la première lettre est datée de Toulon, du 19 janvier 1868, la plupart ont été écrites à Saigon entre mai 1868 et octobre 1870. Quelques-unes ont été écrites pendant la traversée, ou à Versailles, et la dernière est de Toulon, du 19 mars 1871. On joint une photographie le représentant à l'âge de 28 ans, au moment de son départ pour la Cochinchine (par Camille Rensch, photographe, 19 rue Royale à Paris), avec une carte de visite annotée, l'ensemble sous enveloppe de deuil, ainsi qu'une lettre autographe signée de son frère Ernest (Versailles, 12 décembre 1868, 2 pp. in-16). Extraits : 1868 : "J'ai été faire une excursion au Caire. J'ai parcouru les bazars célèbres de cette grande ville, j'ai visité la citadelle et sa grande mosquée, le puits de Joseph, le fossé où les Mamelouks ont été traîtreusement engagés et égorgés. J'étais accompagné d'un docteur de la Marine et du Substitut du Procureur Impérial, tous les deux aimables et joyeux compagnons... Nous quittions notre hôtel à six heures du matin et à dix heures nous étions aux pieds des Pyramides. Nous avons trouvé des Arabes qui sont là aux pieds de ces singuliers monuments, et qui vous empoignent pour vous faire monter absolument comme le feraient nos sergents de ville pour conduire un coupable récalcitrant; un Arabe vous prend la main gauche, un autre la main droite, un troisième pousse derrière, et un quatrième monte avec une gargoulette pour vous donner une goutte d'eau quand la fatigue et la sueur vous ont rendu le palais sec comme un four à plâtre. Nous avons gravi la plus haute des Pyramides, la pyramide de Chéops, qui a à peu près 152 mètres de haut... Enfin j'arrivai au sommet avec mes quatre Arabes, et après avoir aperçu gros comme des enfants mes deux compagnons qui étaient encore au 1/3 de la route, je me couchai ou plutôt je me laissai tomber par terre, épuisé par cette course fantastique faite trop rapidement…" (lettre 117-5, 14 mars, en rade d'Alexandrie). "Nous sommes au milieu de la Mer Rouge, la chaleur est étouffante, nous avons vent debout et nous remuons assez pour que la manœuvre du porte-plume soit assez difficile" (lettre 117-8, 29 mars, à bord de la Sarthe). "Le lundi 23 je vais avec un évêque, passager à bord, et un colonel d'infanterie, visiter un transport anglais, l'Euphrate. On ne peut imaginer comme les Anglais ont plus que nous le respect de la vie de leurs soldats et le sentiment du confortable… A bord de l'Euphrate on voit des infirmeries, des hôpitaux, des chambres à bains, installés avec luxe, propreté et beaucoup d'air. A bord de la Sarthe l'hôpital est dans la batterie, et les hommes malades asphyxiés par la chaleur et l'odeur de la machine et des cuisines sont dans les meilleures conditions possibles pour crever comme des chiens..." (lettre 117-9, 30 mars, Aden, à bord de la Sarthe). Saigon : "Je monte mon ménage un peu tous les jours, et j'espère arriver bientôt à être très convenablement installé. Je suis forcé d'avoir à faire aux Annamites et surtout aux Chinois qui accaparent presque tout le commerce. Les Chinois sont les Juifs de I'Asie. Le dialogue est quelquefois très amusant, le nombre de mots très limité, et par suite les nuances du langage disparaissent complètement. Ainsi, quand un Chinois veut vous faire payer un prix exagéré, pour lui dire qu'il n'est pas raisonnable, on lui parle ainsi : toi, voleur; et il répond : moi, pas voleur. Ils savent aussi le mot filou, et ils connaissent parfaitement la chose que ça veut dire..." (lettre 117-12, 11 mai, à la suite de la lettre du 12 avril). "Je me lève à 4h 1/2 ou 5 h à la lumière tous les jours, car comme adj. major je suis forcé d'assister à l'appel du matin, et d'organiser les manœuvres… Depuis lundi, c'est moi qui dirige l'éducation pratique de nos hommes; à 6 h précises une batterie attelée quitte le quartier, j'ai des mulets enragés attelés à mes voitures, et je fais faire à tout mon personnel des courses soignées jusqu'à 8 h du matin. A 8 h je rentre, je signe mon rapport de tous les jours, je signe ma comptabilité, je paye mes hommes quand c'est le jour de prêt, et je rentre me déshabiller. Je change de tout, car je n'ai pas un cheveu de sec... J'ai appris aujourd'hui la mort du fils du général Paté. Il faisait partie d'un poste qui a été massacré par les Insurgés, et le malheureux était nommé sous-lieutenant depuis 48 heures… Ce soulèvement n'aura aucune conséquence; hier le gouverneur a été informé par le cdt. de la colonne expéditionnaire que tout était entré dans l'ordre; nous n'avons à déplorer que la perte complète du personnel du poste qui a été surpris et qui se composait de 20 hommes et de 2 officiers... Nous jouissons d'ailleurs dans la Colonie d'une détestable réputation au point de vue politique. Bien des gens ne viennent pas dîner avec nous de peur d'être compromis. Il est vrai que les idées sont tellement avancées en général que moi, qui a toujours passé partout pour un révolutionnaire, je suis considéré ici comme un conservateur endurci et dangereux" (lettre 117-15, 4 au 25 juin). "Tu sais que la lutte me surexcite et produit dans tout mon être un développement momentané, mais très considérable, de ressort et d'énergie. Je me suis trouvé par la nature de mes fonctions en relations forcées avec le général d'infanterie commandant les troupes en Cochinchine. Nous nous sommes disputés de la plus belle façon au monde; j'ai mis le désordre dans toute une commission, mais j'ai réussi à être assez prudent pour en être quitte pour un magnifique sermon sur mon esprit d'opposition systématique... Tu as tort de croire mes promenades au loin dangereuses : nous sommes ordinairement cinq ou six à cheval ensemble et, sans aucune exagération, à coups de cravache nous ferions fuir au moins deux cents Annamites révoltés. Cette population n'est pas guerrière; elle a besoin d'une grande surexcitation pour arriver à se battre..." (lettre 117-22, 10 et 24 août). "J'ai été voir dernièrement un conseil de guerre jugeant des Annamites accusés d'avoir formé le complot de surprendre la citadelle, de brûler l'arsenal, de piller les magasins, etc. Ces braves gens défendaient leur pays : nous sommes ici par le droit du plus fort, et les jugements de nos conseils de guerre sont bien obligés d'avoir pour base que porter les armes contre nous, c'est se révolter contre l'autorité régulièrement établie… Bref, sur 14 accusés, onze ont été condamnés à avoir la tête tranchée. L'avocat était stupéfait; il avait défendu assez bien les accusés, mais avait cependant gardé ses arguments les plus décisifs et toute son éloquence pour la réplique. Mais le Commissaire impérial, qui était mon vieux capitaine d'artillerie de Brest, jugea inutile de lui donner l'occasion d'être aussi éloquent; et lorsqu'on lui donna la parole pour répondre à l'avocat, il déclara n'avoir rien à dire, ce qui forcément empêchait par cela même toute réplique…" (lettre 117-24, 10 septembre). 1869. Saïgon. "Il faut voir de près notre système colonial pour être bientôt convaincu que la France fait d'inutiles sacrifices pour ses colonies, tue ses hommes sous des climats affreux pour ne rien produire, diminue l'influence de notre drapeau au lieu de l'étendre... Ainsi la Cochinchine pourrait être pour la France une colonie admirable, le sol est aussi riche que celui du Bengale; le riz, le maïs, le paddy, le grahm, les fruits de toute nature, la soie, l'indigo, etc., suffisent pour faire de cette colonie française le pays le plus riche du monde. Nous sommes au milieu d'une population annamite d'un caractère timide, doux, mais peu laborieuse, peu industrieuse. Nous sommes entourés de Chinois, les Juifs de l'Asie, actifs, entreprenants, commerçants et industriels infatigables. Le peuple annamite accepte notre domination, il est abruti depuis longtemps par le despotisme, et peu lui importe quel est son maître. Il nous accepte même volontiers parce qu'avec nous il ne paye souvent l'impôt qu'une fois, et c'est plus économique qu'avec ses anciens Mandarins… Les Mandarins, les grandes familles dépossédées ne peuvent accepter et n'acceptent pas comme le peuple notre gouvernement. Ils voudraient bien susciter la révolte, recommencer la guerre. Il faut donc qu'avec les faibles forces dont nous disposons (3000 hommes au grand maximum) nous tenions en respect ces grands seigneurs, et pour cela il faut leur retirer tout pouvoir politique, nous mettre à leur place et leur montrer que là où nous sommes, ils ne sont plus rien. C'est l'inverse qu'on fait; on leur donne honneurs, dignités et fonctions, des croix d'officier de la Légion d'honneur et des commandements… Si nous voulions préparer la révolte, recommencer la guerre, y aurait-il un moyen plus infaillible d'y arriver ?" (lettre 128, 10 mars). "Une bonne dysenterie est venue troubler mon repos… J'ai maigri en huit jours d'une façon incroyable, et aujourd'hui, sous mes pantalons de I'École d'application, je mets sans me serrer une ceinture de flanelle, une chemise de flanelle, un caleçon et une immense ceinture de flanelle à la zouave. Tu vois que je suis devenu un émule de Don Quichotte. L'hôpital ici est un séjour terrible : les officiers sont dans une case en bois recouverte de feuilles sèches et la chaleur y est intolérable. Le médecin n'y entend rien; les remèdes même manquent…" (lettre 137, 5 juin). "La race chinoise est complètement rétive à toute conversion. A Cholen, près de Saïgon, il y a 80 000 Chinois, et malgré les efforts des Missionnaires, ces contrebandiers de la Religion, ces commerçants éhontés, il n'y a pas 10 Chinois convertis. Quant à l'Annamite, c'est beaucoup plus simple, ils sont tous voltairiens sans le savoir, et se moquent parfaitement de tout ce qui est culte, cérémonies et dogme. Ils sont catholiques, juifs, bouddhistes, comme on veut, ça leur est bien égal. Les conversions sont alors assez faciles avec quelques sous, mais leur valeur est minime" (lettre 143, 18 juillet). 1870. Saigon. "La nouvelle certaine de la déclaration de guerre entre la France et la Prusse est arrivée hier à Saigon. Il y a longtemps déjà que ce bruit courait en Cochinchine, et le 18 juillet on disait que la guerre était décidée. Comment pouvait-on le savoir ? Je l'ignore, et il y a vraiment quelque chose d'étrange dans la rapidité avec laquelle se propagent les funestes nouvelles… Ici notre cœur est serré, l'émotion est silencieuse, triste sans découragement. Savoir la France exposée à de tels périls et être là les bras croisés dans ce pays où l'on meurt aussi, mais sans l'émotion de la lutte, sans l'enthousiasme du succès ou la colère de la défaite… Moi, je cherche la guerre partout, et je ne puis la rencontrer..." (lettre 163, 5 août). "Les nouvelles télégraphiques se succèdent désastreuses; battue à Forbach, battue à Lunéville, battue à Nancy, l'armée française est refoulée sur Metz. Une grande bataille est imminente, fatale, nécessaire des deux côtés, elle a dû avoir lieu le 15 ou le 16 Août. Une dépêche non officielle est arrivée jusqu'ici; elle porte ces cinq mots sans ponctuation : Nancy occupé Prussiens victoire Metz. Qu'est-ce que cela veut dire ? J'ai peur de comprendre" (lettre 167, 27 août 1870). "Cette capitulation de Sedan est une infamie. Les généraux qui ont signé devraient passer en Conseil de guerre et être fusillés. On ne rencontre de pareils exemples de lâcheté que chez les peuples abrutis qui doivent bientôt disparaître. Heureusement ce n'est pas l'armée qui a fait cette infamie, mais ses généraux et notre Empereur, ce général de parade, qui a osé traîner dans la boue un nom qu'il n'a pas le droit de porter..." (lettre 169, 21 octobre)
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