Charles de Saint-Evremond (1613-1703), écrivain. L.A., [Londres], 3 février [1700], 3p in-4. Très intéressante lettre : « J'ai reçu la copie collationnée sur l'original de ce que Madame Mazarin a signé devant le notaire Anglois, de ce qu'elle a signé de ce qu'elle me devait, elle l'a dit avant que de mourir à Milord Montaigu, à Monsieur de St-Victor, à Monsieur Milon. L'avocat de Monsieur Mazarin disait à l'audience qu'elle avait voulu me payer les louanges que je lui avais données. Je vous puis assurer que j'ai fait ce qui n'arrive guère : j'ai payé les louanges que je donnais, je voudrais qu'elle fut en état d'en recevoir, j'emploierai de bon coeur ce qui me reste d'esprit à la louer & ce qui me reste d'argent à la faire subsister. En certaines occasions ou sans le secours de ses amis, elle se fut trouvée réduite à de grandes extrémités. La mort ne l'a point étonnée, sa nécessité avait bonne grâce, & l'on eut dit qu'elle prêtait de l'argent a ceux qui lui en prêtaient ; elle grondait souvent ses domestiques et ses amis ; ses domestiques n'en étaient pas moins affectionnés ; ses amis prenaient ses petits chagrins pour des faveurs. Languir trois ans, & avoir le même esprit, la même beauté est une chose qu'on n'a peut-être jamais vue. Je vous ai envoyé la copie de mon contrat de ma procuration, si on peut s'empresser de plaider, il n'y faut pas songer. Je serais au désespoir d'en venir là mais j'aimerais mieux plaider que de tout perdre. Monsieur Segretier parle toujours de cette année en contestation. Je voudrais savoir qu'elle année et qu'il nous dise au moins celles dont M La M[alle] demeure d'accord. Mandez ce que vous avez mis pour moi. On vous le rendra aussitôt. N'oubliez pas, s'il vous plait, à me donner des nouvelles de la santé de Melle de Lenclos, elle m'est aussi chère que la mienne. Vous me demandez mon sentiment sur Télémaque. C'est un poème en prose d'un style trop figuré pour de la prose, admirable pour de la poésie. L'invention de faire chercher Ulysse à Télémaque par mer & par terre est une leçon admirable pour les enfants du siècle où nous sommes, qui voyageraient plutôt pour s'éloigner d'un père que pour le trouver s'il était absent. J'estimerais beaucoup les conseils de Mentor si Mentor ne ressemblait trop aux gouverneurs des jeunes Milords qui voyagent. A parler sérieusement le premier tome de Télémaque me charme, les autres épuisent la matière, & si ce ne sont des répétitions, ce sont à mon avis des imitations trop grandes. Madame de Sandwich va dans peu de jours à ma campagne pour y passer l'été peut-être pour donner ordre à ses affaires & se mettre en état de retourner à Paris. Elle m'a chargé de faire dire à M. de Lenclos qu'elle a grande part à son impatience ; elle vous remercie fort de votre serment dont elle se [mot illisible] beaucoup obligée. Assurez madame de Gouville [fin difficile à lire] ». Cette lette est écrite peu de temps après la mort de son amie et protectrice, Hortense Mancini (1646-1699), duchesse de Mazarin et concerne donc les conséquences. Elle mentionne de nombreux personnages : Ralph Montaigu - ancien ambassadeur d'Angleterre en France -, Milon - aumônier de la duchesse -, Segretier - intendant de la maréchale de Créquy -, Elizabeth Montagu (1674-1757), comtesse de Sandwich (grand même de celui qui laissera son nom), Ninon de Lenclos, etc. On remarquera le très intéressant paragraphe sur Télémaque. Saint-Evremond fait ici une des premières critiques de l'oeuvre de Fenelon, alors publiée sans l'autorisation de son auteur (elle ne le sera qu'en 1717). Ce n'est toutefois pas la première critique puisqu'il existe une critique de Boileau dans une lettre du 10 novembre 1699 à Claude Brossette. Rare et intéressante lettre. [353]
Reference : 016194
Librairie Trois Plumes
Benoît Galland
131 rue du haut Pressoir
49000 Angers
France
+33 6 30 94 80 72
Conditions de ventes conformes aux usages de la librairie ancienne et moderne