FARGUE LIVRE UN TRÈS BEAU TEXTE SUR NOËL :...Les grands magasins et les boutiques, le long des derniers jours de cet obscur Décembre, ne renoncent pas à ressembler à des jardins et à des théâtres. Mais ce sont des jardins secrets, ce sont là des théâtres dombres… Et le Père Noël, beau comme son arbre, nous a fait penser aux vieillards que nous avons tendrement aimés.Larbre de Noël est encore au fond de toutes les sensibilités. Jai fait mon tour dans son domaine. La musique de Ravel chantonnait dans mon cœur [le Noël des Jouets, de Maurice Ravel, mélodie pour voix et piano, 1905]. Combien les jouets gouvernent encore tout ce qui peut nous plaire ! À tel point que les éléments du chapitre cadeaux copient le jouet ou le suggèrent. De là vient le plaisir particulier que lon éprouve à acheter un agenda, un cendrier, une carafe, ou une valise, en ce début dhiver sans voyages…Les jouets, ce sont les ténors, les grands champions de la troupe des objets usuels, qui brillent, mais dans une lumière de veilleuse. Et cest à des hublots quapparaissent timidement leurs sourires et leurs grimaces, leurs couleurs et leurs attitudes.Voici, comme naguère, pour ceux qui ne parlent pas encore, les éléphants sur roues caoutchoutées, les agneaux de peluche portant le Grand Cordon de la Toison dOr, les chats diaboliques, les poussins, les canards semblables à des œufs à la neige montés sur chariot, les ours socratiques, dieux des berceaux…Cherchons les poupées, en tenant par la main nos filles et nos nièces. Eh bien ! Paris fait toujours des miracles. Paris, qui aime les femmes, les chevelures, les parfums, les rubans, continue dexceller dans les tendres poupées qui ont, comme on dit, des yeux dormeurs à cils, des robes charmantes, et qui envoient des baisers et font des gestes qui rappellent lavenue du Bois de jadis… Des femmes déjà, quelles soient faites de porcelaine, de stuc ou de tissu serré. Nombreuses sont celles qui portent le costume de leur province (...). Y a-t-il encore des soldats de plomb ? Des panoplies pour petits hommes ? Comment donc ! Et il faut le dire, mélancoliquement, mais carrément ! Cest le costume militaire qui domine. Mais nest-il pas clair quune armée, quun sursaut de la civilisation, que des crises de toutes sortes se prolongent dans les jouets ? Tant de casques, de carabines à air comprimé, de revolvers, de jumelles et de sabres disent assez que le monde était sur les dents. À ce monde, astiqué et violent, il faut souhaiter que lannée nouvelle soit salutaire et généreuse, et que toute idée de guerre retombe exténuée dans lunivers raffiné des jouets où les flammes sont remplacées par des cheveux dange…Arrêtons nous maintenant ensemble devant les parcs de matériel, et poussons avec les enfants qui se balancent à nos basques, un long cri dadmiration ! Je rêve dêtre assez petit pour me glisser dans cette miniature de train de luxe, exécuté daprès les prototypes, éclairé électriquement. Que dimages ne vient-il pas développer dans lâme frêle des gosses, comme dans lâme nostalgique des grandes personnes ! Quels espoirs de voyages paisibles ne leur apporte t-il pas !Les fabricants pensent sans doute que les enfants sont vieux, pensent quils durent avec nous depuis longtemps, et quil faut renouveler le jouet comme on renouvelle la Science ou le Spectacle. On sévertue à les éduquer, à les tenter par des trouvailles de plus en plus actuelles. Un jour, nous aborderons, vers la Noël, la télévision, lectoplasme, lultra-microscope, le radium, les pierres précieuses. Telle est la raison de lintérêt que les parents portent aux jouets de leurs enfants. Javoue, pour ma part, ne pouvoir marracher à ces étalages où sont rassemblés les éléments les plus imprévus et les détails les plus complets du pittoresque technique de ce temps. Locomotives aérodynamiques, gares avec accidents, avions soignés comme des insectes, embarcadères daérodromes, funiculaires émouvants comme des sauts de la mort, téléphones, machines à écrire, auto-grues, voiliers, michelines aux couleurs incontestables, camions pétroliers, (hélas) (...). Jai le sentiment de descendre les escaliers du Dictionnaire, dêtre quelque chose comme un valet de trèfle articulé, de me réduire à la taille dun timbre-poste et de pouvoir me mêler à ce monde enchanté des jouets que notre cœur denfant, quelles que soient nos épreuves, désirera toujours.Ainsi Paris senrichit et se gonfle dun babil de contes de fées qui murmurera pendant quelques semaines à la porte de nos souvenirs. Je sais bien que Berlin, Nuremberg, New-York, Milan, Moscou, Toronto, Lisbonne ou Vancouver vivent du même cœur les mêmes cérémonies et choisissent des fleurs pour leurs boutonnières. Mais je trouve, dans les démonstrations actuelles, resserrées, du jouet de Paris, lintimité, la douceur secrète dune famille qui se regroupe autour de lespérance.Léon Paul Fargue et Maurice Ravel se lièrent damitié au sein de la Société des Apaches, un groupe artistique formé en 1900. Leur amitié dura de 1902 à 1937 date de la mort de Ravel. En 1929, Ravel mit en musique le poème de Fargue, Rêves. Fargue lui consacra un ouvrage en 1947. Il est possible de dater ce texte de noël 1938, soit quelques mois seulement après les Accords de Munich. Fargue publia plusieurs poèmes sur Paris, sa ville natale, une ville quil aimait tout particulièrement, dont Daprès Paris (1932) et Le piéton de Paris (1939).
Reference : 4465
Librairie Blaizot & Pinault
M. Paul Blaizot
164 faubourg Saint Honoré
75008 Paris
France
+33 1 43 59 36 58
La vente se fait au comptant.