PASSIONNANTE LETTRE DE BRICE PARAIN AU PHILOSOPHE PHENOMENOLOGUE MAURICE MERLEAU-PONTY ...Jai lu votre avant-propos hier soir et ce matin. Le mieux donc est que je vous écrive tout de suite. Il ma confirmé dans ce que je vous ai dit hier un peu brutalement. (Un peu brutalement car, je men rends compte de plus en plus, toute ma mission serait de sauver la France de la phénoménologie, et ma joie dy parvenir, mais jai le temps contre moi, il faut que les événements se succèdent dans lordre, quand on nen est même pas encore à Hegel on ne peut pas sauter dans le XXe siècle. Pour vous, vous en êtes au bord ; il ne faudra quun peu de marxisme. Cf p XI « Le monde est cela que nous percevons ». Non. Nous ne sommes pas cet être littéraire, ou plutôt nous ne le sommes pas seulement, et les littérateurs nont de sens que lorsquils sont une très faible minorité, quils sont tout de suite absorbés, quils ont un corps social, de même que la révolution na de sens que lorsquelle aboutit à une vraie parole, cest-à-dire à une décision. Le reste est bien de lordre des silences. La phénoménologie veut transformer le silence en parole. Cest cela limpossible. Il y a en effet un problème de lintuition. Bergson était à sa place dans lhistoire. Et peut-être faut-il longtemps parler de lintuition, comme les Allemands lont fait au 19e s. et les Russes pour arriver à comprendre quelle nest quun moyen de la parole et que la parole est un sacrifice, de même quil faut longtemps mariner dans lesthétisme, probablement pour arriver à comprendre que le sentiment esthétique est bien en effet, à lorigine (ce que vous en dîtes p. XII et XIII est fort juste) mais au service de la logique...Enfin bref voici mes réflexions les unes après les autres. Votre avant-propos est excellent, clair, juste, fort. Il arrive au bord du salut. Mais, sil est vrai que « la philosophie est de r(é)apprendre à voir le monde », elle ne commence à être philosophie lorsquelle la vu de nouveau, lorsquon a jeté le brouillon et quon écrit le résultat. Voilà notre condition (...). Sinon (p. X) vous respirez le rêve de lâge dor (« avant toute thématisation »), vous restez dans la description, vous oubliez la dialectique, le dialogue, le rôle historique de lhomme, et votre rentrée dans lhistoire est uniquement esthétique, elle est héroïque, cest une rentrée de victime, qui se sacrifie elle-même pour ne rien sacrifier, ce qui est contradictoire. Nous payons linterprétation occidentale du christianisme, dans laquelle il ny a plus de résurrection... Je vais trop vite. Cest quil faut que je prenne mon train tout à lheure. Nous en reparlerons. Et peut-être que mon fragment sur le langage et lexistence, puis mon roman vous expliqueront mieux ce que je nai plus envie de redire maintenant. Ce quil faut que vous compreniez bien maintenant, cest que le corps est une nécessité et non un remède (...) que de même la communion est une nécessité (extérieure, imposée) et non un remède, que le remède ne vaudra que lorsque le corps aura de nouveau ce quil faut pour être un corps pensant (...). Encore un effort et verrez clairement (vous le dîtes presque dailleurs p. XII) que tout se tient dans lidéalisme allemand et la critique du jugement à Husserl, Heidegger et la littérature daujourdhui, que notre joie occidentale nest pas sortie de ce problème de laxiomatisation de sa pensée, mais quun axiome na de sens que lorsquil est appliqué à une découverte, que sa vérité est précisément de ne pas être formulée, comme dans Archimède laxiome de linfini, alors quil se vide lorsquil est formulé, et que cette formulation signifie quil doit vider la place à un autre. Il faut que notre joie occidentale sorte dune façon ou dune autre de son aristotélisme actuel. On ly forcera bien...
Reference : 4374
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