S.D. Haraucourt porte, dans cet article, un regard lucide sur le choix et le rôle des comédiens au théâtre : À la suite de nombreux procès …destinés à trancher des différents survenus entre les directeurs de théâtre et leurs pensionnaires au sujet de rôles imposés à ceux-ci par ceux-là…, Haraucourt ironise : …un artiste doit-il être admis à considérer que tel ou tel rôle nest point de son emploi ? La soubrette peut-elle prétendre quun rôle de duègne ne correspond pas à son tempérament, le jeune premier refuser un rôle de grime, le tragédien un rôle comique ? (…) Quil est donc difficile pour les hommes de sentendre, même quand leurs intérêts sont connexes, et par cela seul quils vivent et travaillent ensemble ! La question est pourtant bien simple. Exiger que tout comédien joue nimporte quel rôle, cest évidemment exiger quil soit un grand comédien…Si le directeur insiste, il court le risque que …son pensionnaire occupe le rôle, mais non quil le remplisse, et tout le monde en pâtira… Mais est-ce aux tribunaux de trancher et de …poser en principe que nul ne pourra être contraint de jouer un rôle quil considère comme étranger à ses moyens ? Ce serait un autre péril……Mais, direz-vous, cette question mérite-t-elle quon sy attarde et quon en parle ?... Sans doute …puisquaujourdhui, comme à lépoque des Césars, le double cri des foules est redevenu ce quil était autour du Colysée : panem et circenses *! Revendication matérielle : le droit au pain ; revendication spirituelle : le droit au théâtre. […] La parole qui ne descend pas dun tréteau na pas de chance dêtre entendue, et la France attentive possède deux estrades du haut desquelles on lui jette quotidiennement sa pâture de verbe : la Chambre [des députés] et le théâtre… Il termine son article sur une anecdote : lautre soir, dit-il, au théâtre, on donnait deux pièces : lune en vers, bête et insipide, lautre, en prose, excellente ; cependant, les vers de la première : …tombaient du tréteau et la foule écoutait avec ravissement ces douces inepties, elle sen délectait ou tout au moins faisait mine de sen délecter pour ne pas avoir lair dêtre fermée aux belles choses : Délicieux, Exquis ! Adorable, Dune fraîcheur ! Dune jeunesse !... Et la presse, den parler …en bien ou en mal, peu importe, car le bien et le mal sont indistinctement monnaies de gloire : les publicistes, qui considéraient comme une faveur inappréciable daccorder cinq lignes banales à ces mêmes vers publiés en volume, les discuteront, pèseront, analyseront parce quon les leur présente sur le tréteau…Tout autre fut le sort de la pièce en prose …La salle écoutait, avec méfiance, et se tenait sur la réserve, incertaine de savoir si elle applaudirait le moraliste ou si elle huerait le trouble fête… Lheure se faisait angoissante, et lâme électrique des foules se tendait dans lexpectative de son propre jugement. Un détail décida du sort. À la minute précise où le drame, monté à son point culminant, sélançait pour planer à des hauteurs tragiques, la voix dune cabotine jaillit : le cri eschylien sortit dune poupée… scellant dune manière irréversible léchec de la pièce.Edmond Haraucourt débute sa carrière littéraire, sous le pseudonyme de Sire de Chambley, par la publication dun recueil très libre intitulé La Légende des sexes, poèmes hystériques et profanes (1882). Conservateur du musée du Trocadéro de 1894 à 1903 et du musée de Cluny de 1903 à 1925, il fut aussi président de la Société des gens de lettres de 1920 à 1922.
Reference : 3692
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